Un après-midi d’automne, un train, un camion et une courbe qui ne pardonne pas : c’est la recette d’un accident spectaculaire qui a secoué Sainte-Ursule, au Québec. Mais cette catastrophe était-elle inévitable ou l’accumulation d’un enchaînement de circonstances malheureuses ? On refait le film, sans pop-corn mais avec beaucoup d’enseignements sur la sécurité routière et ferroviaire.
Les faits : collision au sommet entre poids lourd et train de voyageurs
Le 20 septembre 2016, à 16 h 05, le train de voyageurs n°600 de VIA Rail Canada file à 60 mi/h vers Montréal sur la subdivision de Joliette. Alors qu’il approche du passage à niveau public de la route 348, à Sainte-Ursule, tous les signaux sont en place : les feux clignotent, la sonnerie retentit, les barrières descendent. Bref, tout fonctionne comme la réglementation l’exige.
Dans le même temps, un camion semi-remorque chargé de sable sort de la courbe à l’ouest du passage. Devant lui, une voiture s’arrête à 75 pieds de la voie. Le chauffeur du poids lourd, surpris, se déporte sur la gauche, évite la voiture, défonce la barrière et… percute le côté droit de la locomotive. Conséquence : la première voiture-coach déraille, wagons et locomotives subissent des dégâts, près de 1860 gallons de carburant se répandent et le camion finit en morceaux dans le fossé. Bilan humain : le conducteur du camion est grièvement blessé et deux voyageurs du train sont légèrement blessés. Fait remarquable, tous les dispositifs du passage à niveau étaient utiles, mais pas suffisants ce jour-là.
Un décor piégeux et des habitudes trompeuses
- Une courbe sournoise : La route 348 impose aux conducteurs venant de l’ouest une courbe vers la gauche avant d’arriver au passage à niveau. La visibilité des dispositifs lumineux n’est complète qu’à 730 pieds, là où la distance d’arrêt recommandée pour un semi-remorque est… 909 pieds (DVAR).
- Expérience ou routine ? Le chauffeur du camion, 12 ans de métier, connaissait par cœur cette route et, selon lui, n’avait jamais croisé un train à ce passage à niveau. Selon des études, cette familiarité diminue la vigilance et l’intention de ralentir.
- Position des yeux et partage de l’attention : Un virage oblige le conducteur à surveiller l’extérieur de la courbe, pas le rail. Son attention se partage, et l’alerte peut passer sous le radar mental. D’autant plus que dans les virages, notre cerveau privilégie la trajectoire plus que l’imprévu.
Facteurs contributifs : le piège de la visibilité et les marges de sécurité
La réglementation canadienne précise : il faut que les feux lumineux du passage à niveau soient « pleinement visibles à une distance au moins égale à la DVAR ». Ici, ce n’est pas le cas. Dès lors, pour qu’un chauffeur puisse réagir, ralentir et s’arrêter à temps, il faudrait… voir le danger plus tôt ! Le camion, bien entretenu, équipé d’un système ABS, roulait dans les clous administratifs. Mais la combinaison du profil routier et du temps de réaction humain a tout changé : le conducteur n’a pu apercevoir les feux que trop tard. Lorsqu’il sort de la courbe, il n’a plus la distance nécessaire pour freiner efficacement.
L’enquête du BST ne relève aucun défaut du dispositif d’avertissement ou du véhicule. L’accident, selon eux, découle de ce cocktail :
- L’attention du conducteur lors du virage n’est pas portée au loin, mais sur la trajectoire et les obstacles de proximité.
- La courbe masque trop longtemps le passage à niveau et ne donne qu’un court instant pour réagir.
- Le camion se retrouve donc, à peine la menace détectée, condamné à agir dans l’urgence. Résultat : il évite la voiture, mais percute, fatalement, le train.
Réflexion et évolution de la sécurité : que faire ?
Après l’accident, le ministère des Transports a décidé d’installer à Sainte-Ursule un panneau d’avertissement actif avancé, signalant la présence d’un train bien avant l’intersection. Ce type de panneau, déjà utilisé sur d’autres passages à niveau, fait ses preuves pour alerter les conducteurs à temps et éviter la routine assassine évoquée plus haut.
Le BST a également recommandé à Transports Canada d’intégrer, dans leurs évaluations de risques, tous les accidents survenus à proximité des passages à niveau, routiers comme ferroviaires. Car, visiblement, le risque ne circule pas que sur les rails.
Morale de l’histoire : il ne suffit pas d’avoir des trains à l’heure et des camions conformes pour éviter l’irréparable. La visibilité, la vigilance et l’alerte doivent être à la hauteur des surprises que la route (et une inattention passagère) peut réserver.
Conseil de fin de trajet : Sur un passage à niveau, ne faites jamais confiance à la routine. Le train qui n’arrive jamais… finit parfois par arriver.

Victor Beaumont est un grand passionné de voyages et de mobilité, avec une affection toute particulière pour les trains. Depuis son enfance, il aime observer les locomotives, découvrir de nouvelles lignes ferroviaires et s’intéresser aux innovations qui transforment nos déplacements. Pour Victor, le voyage ne se résume pas à la destination : c’est l’expérience du trajet qui compte. Dans ses articles, il partage cette passion en proposant des idées pour voyager malin, comparer les moyens de transport et redonner au train la place qu’il mérite dans notre quotidien.





